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Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas pour le Docteur L’Hereec d’ouvrir à nouveau ici le débat que chacun s’accorde à considérer comme dépassé entre organogenèse, psychogenèse et sociogenèse et qui tend pourtant à être ré-ouvert en permanence.

Le Docteur L’Hereec dit simplement qu’il lui semble exister une identité de méthode entre ces trois discours sur l’arriération mentale qui tendent à problématiser la question en évacuant le sujet. Que la réponse au problème ainsi posé soit :

  • Organique et s’étaye sur les antécédents traumatiques ou infectieux de la petite enfance du malade sans s’interroger sur le statut de ces épisodes dans son histoire.
  • Psychologique, pseudo-analytique et s’étaye pour la construction de fictions psychopathologiques sur l’histoire reconstituée du malade par l’interrogatoire de son entourage, sans s’interroger sur le statut du discours de cet entourage sur le malade et sur sa propre histoire.
  • Sociologique, pseudo-éthologique et s’étaye sur le constat de carence de l’environnement (familial, institutionnel…)

Le Docteur Philippe L’Hereec rappelle à ce propos ce qu’énonce Georges Devereux, et qui semble salutaire, à savoir que le seul défaut qu’aucune théorie ne peut supporter est de s’abolir elle-même et qu’une théorie qui explique ce qu’elle étudie en l’escamotant par l’explication, se supprime automatiquement aussi elle-même.

Par ailleurs, tous ceux qui ont été amenés à s’occuper de ces malades s’entendent pour reconnaître que l’étiologie de l’arriération ne peut qu’être multifactorielle. Ces facteurs étant étroitement intriqués.

La question n’est donc pas là. La question est de savoir ce que l’on énonce en disant d’un malade qu’il est arriéré.

C’est-à-dire en choisissant de mettre l’accent sur un grade psychométrique (de la débilité à l’idiotie) en rapport avec un déficit et en prononçant un « diagnostic », qui est, de fait, un pronostic. Nul ne pouvant avoir pour ambition de soigner l’arriération mentale en tant que telle.

Un élément de réponse nous semble pouvoir être trouvé  dans l’évolution étonnamment  commune de certaines des (trop) rares unités de soins pour malades dits arriérés profonds dont il nous a été donné de prendre connaissance.

Que constate-t-on ?

Caricaturalement,  parce que les choses son souvent plus complexes et intriquées :

à une première période où le discours dominant est du type humaniste et le but fixé celui de la réhabilitation de ces malades au lourd passé asilaire, visant à les rendre à « leur dignité d’êtres humains » par le moyen de mesure dites de maternage (attention portée aux soins  corporels, à la nourriture, aux vêtements…)

Succède une période où le discours dominant est du type éducatif et le but fixé celui de l’autonomisation des malades par le moyen de mesures dites d’apprentissage (contrôle sphinctérien, toilette, habillage, alimentation). Cette période est souvent décrite comme étant celle de l’euphorie et  des espoirs illimités au sein des équipes soignantes. Tant il est vrai que ces malades réputés incurables et irrécupérables sont aussi ceux dont l’évolution immédiate est la plus gratifiante, pour peu que l’on commence à s’en occuper.

Survient alors une ultime période où le discours dominant est du type social et le but fixé celui de la réimplantation des malades à l’extérieur de l’hôpital, par le moyen d’abord d’activités (ergothérapie, sport, sortie, séjours dits thérapeutiques…) puis de mesure de placement (le plus souvent en MAS).

Le résultat, quand l’expérience a eu le temps d’être menée à son terme, en est la disparition de l’unité de soins en tant que telle : soit qu’elle disparaisse dans les faits (avec dispersion des malades qui n’ont pu être placés dans les autres unités de soins) soit par sa transformation en lieu de vie ou plus exactement en lieu à vie.

Précisons qu’il ne s’agit pas pour nous à travers  cette description, que nous reconnaissons caricaturale, d’ironiser en aucune façon à propos de ces expériences (répétons-le trop rares) souvent remarquables et toujours passionnantes et riches d’enseignements aussi bien pour ceux qui en sont les acteurs que pour ceux qui en prennent connaissance à travers leur compte-rendu.

Ni de remettre en cause en eux-mêmes les buts fixés (réhabilitation, autonomisation, réimplantation ni les moyens (maternage, apprentissage, activité) que nous avons énumérés.

Il s’agit, à la lumière de ces expériences, de s’interroger sur le statut de l’arriération mentale.

Et de constater que l’évolution de ces unités vers leur auto-abolissement en tant qu’unités de soins psychiatriques répondent à une certaine logique dans la mesure précisément où leur  travail s’est centré sur un groupe de malades définis sur des critères de déficit et non sur une tâche socialement investie qui, à l’hôpital psychiatrique ne peut être qu’une tâche de soins.

C’est-à-dire, dans la mesure où ce qui définit et structure  l’équipe soignante, ce qui est au centre de ses interrogations de ses élaborations et de ses décisions, c’est un groupe de malades et non la tâche de soins en elle-même, sa mise en place et son contrôle.

Dans la mesure encore où ce qui structure la prise en charge c’est le déficit qu’il s’agit de gérer au mieux et auquel il s’agit éventuellement de pallier.

Ce qui ne laisse effectivement place qu’à un discours du type humaniste, éducatif ou social et aux mesures correspondantes, à l’exclusion de toute démarche de soins proprement dite. Nul, répétons-le,  ne pouvant avoir pour ambition de soigner l’arriération en tant que telle.

Autrement dit, si le choix est fait de travailler au niveau des potentialités actuelles du malade et non au niveau de ses « potentialités virtuelles » c’est-à-dire des obstacles qui rendent ces potentialités inopérantes. Ce qui est démarche de soins et de thérapie dans la mesure où l’on se trouve alors effectivement confronté à des limites parce que celles-ci n’ont pas été posées à priori.