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Jean-Yves Stoquer

Lépidoptériste amateur, c’est le terme que ce passionné emploie pour se désigner en tant que collectionneur de papillon sans objectif scientifique. Pourtant, l’homme est scientifique : ingénieur de formation, il est devenu un spécialiste du bâtiment et notamment des fondations spéciales, dont il a fait le cœur de son métier. Mais la beauté des passions, et notamment des désirs de collections, c’est qu’ils surviennent chez des personnes de tout milieu social et de tout type, sans qu’il n’y ait de corrélation évidente entre profession et passion. Il est donc temps de découvrir le parcours d’un de ces collectionneurs, et les précieuses informations qu’il a à dire sur son domaine…

Pour la beauté et pour la science

Les papillons ont de tout temps suscité la fascination et l’émerveillement. Et dire « de tout temps » n’est pour une fois pas une exagération : la peinture de papillon la plus ancienne que l’on ait retrouvé provient d’Égypte, au sein de la tombe de Neferhotep qui a été datée de 3000 ans avant notre ère. En plus de traverser les âges, le papillon présent un peu partout dans le monde, et doté de symbolique puissante dans la plupart des cultures. Au Japon par exemple, on lui reconnaît sa grâce et sa légèreté, jusqu’à en faire un des emblèmes de la femme et que deux de ces spécimens ne forment une métaphore du bonheur conjugal. Cette légèreté lui donne aussi un aspect d’esprit voyageur : en voir un annoncerait une visite ou la mort d’un proche. Autre son de cloche toutefois chez les aztèques, qui y voient chez les papillons diurnes un symbole du feu solaire et donc de l’âme des guerriers. Le mouvement des ailes d’un papillon et ses couleurs (bien plus chatoyantes dans ces régions plus tropicales) le lient profondément au feu dans ces cultures, c’est pourquoi le dieu de feu aztèque possède en guise d’emblème un pectoral nommé papillon d’obsidienne. Enfin, dans la mythologie grecque, on se base sur le mot « papillon », qui signifie également « âme » dans le grec ancien, et sur le mythe de Psyché qui aurait acquis des ailes de papillons, la peinture liant par la suite profondément l’entité grecque et l’animal.

Pas étonnant donc que le collectionneur ait lui aussi succombé à la beauté des papillons, les collections de ces insectes étant particulièrement splendides, avec des formes gracieuses et des couleurs magnifiques. C’est ce que lui-même revendique comme un premier intérêt pour ce domaine, une attirance de l’esthétique de ces insectes. Néanmoins, son goût ne s’arrête pas là. À mesure qu’il prend connaissance des nombreuses données scientifiques sur les papillons, il s’intéresse aux sciences qui ne l’intéressaient pas à l’origine. Lui était plutôt porté sur les sciences physiques, les mathématiques et l’Histoire de France, avec un certain désintérêt pour les sciences du vivant. Mais guidé par son désir de collection et par un ami d’enfance, qui lui aimait et maîtrisait les sciences naturelles, l’ingénieur a fini par se plonger dans ce domaine, trouvant dans les insectes une porte d’entrée vers une science qui lui semblait hors de portée. Il a en effet réalisé qu’il y avait des cadres communs à l’études de tous les êtres vivants, et que les nouveaux domaines qui l’intéressaient pour comprendre les papillons et leur fonctionnement pouvaient s’étendre de manière plus générale, et apporter des débuts de réponses sur certains mystères de la génétique et la biologie. Lui qui reconnaissait avoir de grandes lacunes dans ces domaines, il est fier d’avoir pu partiellement les combler par sa passion. Il a ainsi dévoré la littérature de vulgarisation et tient à remercier feu Stephen Jay Gould, un scientifique américain de renom décédé en 2002 qui a fortement popularisé des sciences comme la paléontologie ou la biologie auprès du grand public.

L’amour de la collection

Ce qui caractéristique Jean-Yves Stoquer, et qu’il revendique sans problème, c’est qu’il est un collectionneur dans l’âme. Il a grandi dans la période plus joyeuse et insouciante des années 60, un terrain plus propice à l’envie de découvrir et collectionner, une envie qu’il n’a jamais perdue depuis. Il a donc accumulé les collections, les collectionnant pour ainsi dire. Il a commencé avec l’art de la philatélie, la collection de timbres (postaux comme fiscaux), un type de collection souvent associé à la culture et à la patience, quoique perçu aujourd’hui comme quelque peu ennuyeux. C’est néanmoins l’un des types de collection les plus connu. Ensuite, il s’est adonné à la numismatique, qui se concentre sur les pièces de monnaies et les médailles. C’est à la fois une discipline jugée très scientifique, car pratiquée par les archéologues et les historiens et utilisée notamment comme critère de datation, et une discipline jugée très noble, car ne pouvant être pratiqué que par les personnes les plus fortunées durant une bonne partie de l’Histoire. Il est ensuite passé à la collection d’armes et d’équipements militaires, une discipline si vaste et si étendue dans le temps (les êtres humains n’ayant jamais cessé de se faire la guerre) que la plupart des personnes qui la pratiquent préfèrent se concentrer sur des périodes données, ce qui facilite les collections. Enfin, le passionné a collectionné les papillons, bien entendu, mais aussi les roches et les minéraux, notamment durant son adolescence. Cette discipline demande une incroyable rigueur scientifique et une capacité à s’extasier sur des choses que beaucoup de gens trouveraient ennuyeuses, là où les papillons sont assez appréciés du grand public. Néanmoins, toutes ces passions disent quelque chose, elles révèlent des qualités que l’on est heureux de retrouver chez un ingénieur, et notamment un ingénieur du bâtiment : la patience, la rigueur, l’envie d’aller plus loin, la curiosité.

Le goût du voyage pour trouver des spécimens

Il y a des papillons partout dans le monde où il y a des insectes, ce qui représente presque toutes les zones du monde à l’exception des pôles. C’est ce qui pousse les collectionneurs de papillons à parcourir le monde à la recherche de spécimens rares pour enrichir leur collection. Ainsi, le lépidoptériste amateur a capturé personnellement une large majorité des rhopalocères (les papillons de jour) et des hétérocères (les « papillons de nuit », quoique cette dénomination soit jugée réductrice par la communauté scientifique) de sa collection, surtout entre 1962 et 1992. Bien entendu, la majorité de ces spécimens proviennent de France, quoi qu’il ait déjà aperçu un papillon exotique au jardin d’acclimatation de Paris, probablement né d’une chenille d’importation. Mais il a également voyagé, et a pu capturer une centaine de papillons exotiques au Mexique, au Guatemala ainsi que dans les Îles Canaries. Les îles sont toujours un des meilleurs endroits au monde pour trouver des papillons, et notamment les spécimens les plus rares. Soumis à de nombreux courants, de nombreux insectes s’y arrêtent, portés par les vents chauds ou transportés par les échanges humains, tandis que les climats tropicaux et la présence de forêts favorisent considérablement la richesse de la biodiversité. Ainsi, les cas les plus extrêmes se trouvent dans les îles, notamment dans l’archipel des Moluques où vivent les plus grands papillons du monde. L’envergure de ces spécimens est ahurissante, supérieure à 35 cm, et ils volent le plus souvent à 15 ou 20 mètres du sol, cherchant à butiner les fleurs des cocotiers. C’est bien simple, ce sont des insectes si imposants et si éloignés du sol qu’on ne les chasse pas avec un filet à papillon, mais avec un fusil chargé avec des ampoules de gaz anesthésiant !

Mais parfois, Jean-Yves Stoquer fait le choix de ne pas se déplacer, en tout cas pas à chaque fois. Il a également pratiqué quelques échanges pour obtenir des papillons à préparer soi-même. Ces spécimens-ci, quelques centaines sur les milliers de la collection de l’ingénieur, sont soigneusement conservés dans des papillotes de papier et proviennent plutôt d’Afrique et des îles, avec le Kenya, Madagascar, Mayotte et les Comores. Et puis, il est également possible de bénéficier de la générosité de sa famille, ou de ses amis ! Ainsi, plusieurs proches du brave collectionneur ont eu vent de sa passion et ont profité de leurs propres voyages pour lui ramener quelques spécimens, agrandissant sa collection avec des papillons obtenus à Djibouti et en Guyane Française. Enfin, il est également possible d’obtenir des papillons déjà préparés en boîte, ce qui permet souvent d’obtenir des spécimens rares ou lointains. Il y a un véritable commerce qui s’est développé sur la question, et si la chasse de l’insecte est le plus souvent le principal moteur des collectionneurs, ces derniers trouvent toujours plaisants d’acquérir un spécimen qui leur manquait par ce biais. Notre ingénieur favori a ainsi pu obtenir quelques exemplaires en provenance de Cuba, du Guatemala ou du Brésil. Il faut enfin savoir que les papillons sont sensibles au réchauffement climatique : ce dernier produit une remontée des espèces vers le Nord, car elles suivent les espèces végétales dont leurs chenilles se nourrissent. Mais ils craignent surtout les activités humaines, notamment les armes de destruction massives, les insecticides et les herbicides qui causent des ravages irrémédiables à leur environnement. Le bilan est déprimant : il ne reste aujourd’hui qu’à peine 10% du nombre de papillon qui pouvait être dénombré il y a 50 ans seulement.